La Suisse est le berceau de l’enseignement hôtelier

Interview d’Alain Sebban, fondateur et président des écoles hôtelières Vatel, premier groupe d’enseignement spécialisé à l’échelle mondiale. Le Nouvelliste 10 mai 2013

Fondateur et président des écoles Vatel, Alain Sebban est à la tête du numéro 1 mondial de la formation hotelière, avec 30 établissements répartis sur quatre continents, accueillant actuellement 7000 étudiants. En trente ans, il a formé plus de 25 000 cadres dans le monde de l’hôtellerie et du tourisme. Il était cette semaine à Martigny, à l’occasion de la convention internationale de son groupe.

Alain Sebban, vous avez réuni à Martigny les directeurs des trente écoles hôtelières du groupe Vatel. Vous étiez dimanche en excursion du côté de Zermatt. Vous êtes ici pour faire du tourisme ?

Nous sommes d’abord ici pour travailler. Cela fait sept ans que nos directeurs venus de quatre continents se réunissent. Ils sont ensemble pour partager leurs expériences, forcément très différentes de Manille à Los Angeles… Et pour voir comment on fait évoluer notre formation, notre pédagogie, comment évoluent nos étudiants, aussi.

Vous devez donc adapter constamment votre système éducatif ?
Le monde évolue vite. Bien plus vite qu’il y a vingt ans. A l’époque, on gardait des programmes d’études pendant cinq ou dix ans. Aujourd’hui, le contenu, les méthodes doivent être adaptés chaque année. Durant la convention, par exemple, nous avons débattu de la “génération Y”, ces jeunes de 18-25 ans, nés avec un ordinateur, un mp3 sur les oreilles, totalement différente de la géné ration précédente, à qui on ne peut pas s’adresser de la même manière.

Vous étiez dimanche à Zermatt, l’un des fleurons de l’hôtellerie valaisanne. Quel regard portez-vous sur notre économie touristique ?
J’aime bien l’hôtellerie suisse. C’est une hôtellerie traditionnelle qui a su se moderniser progressivement, sans révolution. La gastronomie suisse a fait d’énormes progrès en vingt ans. Elle a su s’adapter en gardant ses bases. Je suis Français. La France est le fief de la grande cuisine, mais parfois on évolue trop vite, comme par exemple avec la cuisine moléculaire, qui, heureusement, n’a pas pris.
Si l’on revient sur le secteur hôtelier, il vit des heures difficiles. Il est souvent critiqué, d’abord par les autochtones…

Ce sont toujours les habitants du pays qui critiquent le plus. Nous, les Français, on est bien placés pour le savoir… Plus sérieusement, la tradition de l’hôtellerie suisse, c’est quelque chose de monstrueux, d’immense, d’indestructible. C’est vrai qu’aujourd’hui on a un franc suisse très fort, avec une déperdition de clientèle, parce que les coûts commencent à être élevés. On le notait dimanche à Zermatt. Même si c’est le prix à payer pour être dans la plus belle station de ski du monde, les hôteliers voient leur clientèle diminuer. Le danger, ce n’est pas que leurs revenus baissent, c’est qu’ils ne puissent plus investir pour moderniser leurs infrastructures.

Le franc fort, les hôteliers n’y peuvent pas grand-chose. Quelles sont leurs armes pour survivre ?
L’accueil. Le sourire. Dans des hôtels haut de gamme, les structures sont toutes les mêmes. La différence, elle va se faire, comme dans les avions, par le service. En Suisse, il y a cette tradition, quoi qu’on en dise, une valeur du service qui est bonne. C’est pour ça que nous sommes venus ouvrir une école ici, pour aider à maintenir cette qualité.

Vous avez ouvert Martigny en 2010. Pourquoi vous installer en Suisse, alors que le pays compte déjà de nombreuses écoles hôtelières?
C’est un rêve de jeunesse. Quand on a trente écoles, on se doit d’être présent en Suisse. C’est le berceau de l’enseignement hôtelier. La première école de l’histoire, c’est Lausanne. D’autres pays ont suivi, avec 40 ou 50 ans de retard. Aujourd’hui, il y a plus de 350 écoles hôtelières en France qui est numéro 1. En tant que Français, en tant que Vatel, on devait montrer ce qu’on sait faire, comment on le fait, avec des prix plus raisonnables que les écoles suisses et avec une structure unique : un hôtel et un restaurant d’application ouverts au public.

Vos élèves sont formés aux quatre coins du monde. Ils reçoivent la même formation, qu’ils soient à Martigny, en Arabie Saoudite ou à Buenos Aires ?
Oui. L’hôtellerie est internationale. On prépare nos étudiants non pas à travailler dans le pays où ils étudient, mais n’importe où dans le monde. Les grandes écoles de commerce conseillent à leurs étudiants de voyager, d’aller se former ailleurs. Chez nous, ça fait trente ans que c’est une tradition.

Uniformiser la formation, ce n’est pas risquer de passer au-dessus des spécificités, des mentalités de chaque pays ?
Nos étudiants portent les mêmes uniformes, suivent les mêmes cours dans nos 30 écoles. Mais ils sont tous différents. Ici à Martigny, par exemple, ils ont cette douceur et cette lenteur de l’accueil propres à la Suisse. C’est quelque chose de magnifique. A Paris, ils sont beaucoup plus précipités, beaucoup plus speed.

Le marché touristique suisse traverse une baisse de régime. Ce n’est pas le cas ailleurs dans le monde ?
Non. La France a réalisé son meilleur hiver depuis longtemps avec 10% d’augmentation des nuitées. Nos étudiants travaillent à l’international où le tourisme est loin d’être en crise. Ils n’auront aucune difficulté à trouver de l’emploi.

Vatel est en pleine expansion, dans le monde, mais aussi ici, à Martigny. Votre projet de campus a été mis à l’enquête publique en fin de semaine dernière. Un projet à 17 millions.
Nous n’avons pas prévu de créer plusieurs écoles en Suisse. On est bien en Valais: il y a ce petit côté midi de la France que j’apprécie. Notre campus devrait accueillir 400 à 500 étudiants maximum. Nous voulons garder une dimension humaine dans nos écoles.

Et ailleurs sur la planète ?
Nous allons accueillir nos premiers élèves à Istanbul et à Dubaï en septembre. Et une de mes collaboratrices est depuis quelques mois en Chine. On espère y ouvrir entre trois et cinq écoles. On va faire très vite et très fort. Il faut être les premiers. Et je crois que c’est le moment. En 2020, la Chine sera le premier pays touristique du monde. Elle aura besoin de cadres opérationnels qualifiés.

Alain SEBBAN est également l’un des tous premiers adhérents de Courant 812

Article rédigé par Sabine Papilloud – Le Nouvelliste

Retour en haut