Extrait de l’article paru dans Le Temps le 12.07.2013 – Nathalie Versieux
Penché sur son rabot, le jeune homme peaufine son ouvrage sous les encouragements bruyants de son équipe. Dans cinq minutes va retentir le gong qui marquera la fin de la compétition. Epuisé mais heureux, le Saint-Gallois Prisco Egli, de Jonschwil, 21 ans, est littéralement avalé par le groupe de ses supporters, qui se jettent sur lui pour le féliciter. A quelques mètres, mêmes scènes de joie chez son principal concurrent, un jeune Français de 21 ans, Mathieu Aubert. Pascal Flüeler, originaire de Nidwald, arrose une dernière fois la composition de bosquets et de plantes qu’il a réalisée avec Thomas Barmettler.
Pour Prisco et Mathieu, c’est la fin d’intenses semaines de préparatifs et de deux longues journées d’épreuves: deux fois onze heures pour réaliser un tabouret-échelle et une fenêtre ouvragée en bois.
Prisco et Mathieu sont deux des 999 jeunes originaires de 53 pays différents venus la semaine passée à Leipzig, dans le centre de l’Allemagne, pour participer aux Olympiades des métiers. Dans les quatre gigantesques halles d’exposition du Palais des foires de Leipzig, les spectateurs, dont de nombreux jeunes Allemands en phase d’orientation professionnelle, se pressent dans les allées. Les plus âgés jettent un oeil de connaisseur sur «le bon boulot» réalisé par les deux garçons.
Les JO des métiers, compétition peu ordinaire, se tiennent tous les deux ans dans un pays différent pour désigner le meilleur carreleur du monde, le meilleur charpentier, coiffeur, tailleur de pierre, plombier-chauffagiste, chaudronnier, pâtissier… Au total, une quarantaine de métiers sont représentés, de l’électronique à la chaudronnerie en passant par la mode ou la cuisine. Les candidats ont moins de 23 ans. Ils ont achevé leur apprentissage et se sont qualifiés dans leur pays respectif pour participer à cette compétition internationale. Comme dans le sport, ils reçoivent dans leur pays un entraînement physique et moral, en plus d’un entraînement poussé dans leur discipline.
La délégation suisse comprend une quarantaine de jeunes, tous alémaniques. «Malheureusement, le système dual n’est pas très fort dans la partie romande et dans le Tessin», déplore Theo Ninck, chef de l’Office de l’instruction publique du canton de Berne. Il est venu assister aux dernières minutes de compétition dans la halle réservée aux jardiniers-paysagistes.
Pascal Flüeler et Thomas Barmettler, les deux candidats helvétiques de 21 ans, achèvent leurs dernières plantations: quelques dahlias roses, des plans de lavande… Ils viennent de passer quatre jours à créer un petit jardin: construction d’une fontaine et d’un muret, pose de dalles pour une allée, installation d’une chaise longue en bois et de palissades. Les deux jeunes, en sueur et couverts de terre, travaillent dans le vacarme étourdissant de l’énorme cloche à vache et des applaudissements de leurs supporters. «Regardez ce muret, il est impeccable», s’enthousiasme Ueli Müller, le secrétaire général de SwissSkills, en charge de l’équipe suisse. Le muret des deux participants japonais semble, en comparaison, plus «gondolé». «Les Japonais savent faire des jardins japonais. Mais un jardin européen, ça n’est pas leur fort», glisse un spectateur. Le deux candidats suisses, Thomas et Pascal, remportent la médaille d’or de leur catégorie.
La délégation japonaise récolte au total 30 médailles, surtout dans l’électronique. Et se classe quatrième au classement général derrière la Corée (37 médailles), la Suisse (35 médailles) et Taipei (31 médailles).
De fait, l’écart est criant entre les pays ayant une forte tradition de l’apprentissage et les autres. Au sein de l’Europe, la distinction est nette entre les pays latins et les pays anglo-saxons. Les Suisses alémaniques, les Allemands et les Autrichiens remportent traditionnellement beaucoup de médailles. En Asie, la Corée du Sud et le Japon – qui en font une question de prestige national – raflent également de nombreuses distinctions.
Au sud de l’Europe, l’image des métiers manuels est très variable. La coiffure ou la restauration y sont plutôt bien considérés tandis que la soudure ou la chaudronnerie n’attirent pas les jeunes.
«Participer aux Olympiades est un enrichissement incroyable, tant au niveau personnel que professionnel, et pour les relations que ça crée», explique Natascha Spahr, 24 ans, qui a participé voici deux ans aux Olympiades dans la catégorie des esthéticiennes. La jeune Suissesse, qui espère reprendre un jour le salon de sa mère, est venue soutenir sa compatriote Debora Widmer, sur le point d’achever son travail.
En quatre heures, elle a dû peindre et poser des ongles multicolores, et réaliser un maquillage du décolleté et du visage. «J’ai commencé par les ongles, car je sais que c’est quelque chose que je ne peux pas faire dans le stress des dernières minutes, explique la jeune femme. Pour les ongles, j’ai compté une heure trente. Le reste pour le maquillage.» Dès la fin de la compétition, les membres du jury circulent parmi les jeunes femmes qui ont servi de modèles, examinant d’un oeil critique les vernis à ongles, la pose des faux cils, et le maquillage en forme d’écharpe ouvragée qui orne les décolletés. Cette fois, la Suisse ne remporte pas de médaille.
«Toutes les portes sont ouvertes à ces jeunes champions, insiste Ueli Müller. Médaille ou pas, rien que le fait d’avoir participé aux Olympiades est un plus incroyable pour leur carrière.» Prisco Egli ne sait pas encore laquelle de ces portes il ouvrira: études universitaires, compagnonnage… ou la menuiserie de son père.